Dossier zombies : un retour d'enfer

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BouBout
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Dossier zombies : un retour d'enfer

Message par BouBout »

Le journal Libération consacre aujourd'hui tout un dossier au phénomène "zombie" qui revient à la mode.
:wink:

Les morts vivants déferlent sur le monde

La sortie du film «Land of the Dead», politiquement engagé, coïncide avec un retour en masse du thème du zombie en Occident.

Il était temps que le grand Romero, avec son Land of the Dead (le Territoire des morts) mette un peu d'ordre dans le galvaudage du mort vivant. Car si le zombie s'est à nouveau échappé des enfers, il a beaucoup perdu de son énergie punk-trash de la Nuit des morts vivants (1968), Zombie (1978) ou Day of the Dead (1985). Le zombie est à la mode. C'est même grâce à cela que George A. Romero, tricard depuis quinze ans, a pu tourner son quatrième opus, qui sort aujourd'hui dans 250 salles françaises (lire notre critique en page 4). Des films à gros budget s'inspirent ouvertement de son oeuvre, comme le faiblard 28 Jours après, de Danny Boyle (2003) ou un navrant remake comme l'Armée des morts du pubeux Zack Snyder (2004). Même le rigolo Shaun of the Dead, comédie estivale 2005 d'Edgar Wright et Simon Pegg, ne tient pas vraiment la distance (Libération du 27 juillet). Ce n'est qu'un début, puisqu'une demi-douzaine de films sont en gestation, dont celui d'un autre revenant, Tobe Hooper, réalisateur de Massacre à la tronçonneuse.

Bombasse. Ailleurs aussi, le zombie fait florès. Des sites regorgent de méthodes pour résister aux créatures, voire invitent à fantasmer sur la bombasse morte vivante, comme sur zombiepinups.com, où la chair s'exhibe crapoteuse et de traviole ­ avant que la belle ne vous mange, bien sûr. N'oublions pas, en apothéose, la publication récente d'un jeu de société intitulé Zombies : la blonde, la brute et le truand (Asmodée).

Dans les jeux vidéo, le zombie n'a cessé d'être une valeur sûre. Des sagas comme Alone in the Dark, Resident Evil ou les remarquables Silent Hill (dont Christophe Gans tourne actuellement une adaptation) ont maintenu le mort vivant au top de la popularité chez les moins de 30 ans selon une immuable mécanique d'usine à trouille. Face à la lenteur inexorable et incontrôlable d'une masse hostile et affamée, tout joueur devient un héros à peu de frais. Toutefois, bien que l'industrie adolescente du jeu et le cinéma de Romero puisent dans le même registre culturel (ou plutôt contre-culturel), le zombie a perdu dans la première cette humanité dérangeante pour ne devenir qu'une cible idéale. Lui tirer dessus est devenu moralement acceptable, tout en conservant l'excitation morbide et discutable de faire feu sur ce qui ressemble, tout de même, à un homme.

«C'est vous.» Le film de Romero vient donc à point nommé rappeler que le zombie, c'est nous, pauvres choses fascinées devant l'écran de cinéma ou en astiquage frénétique de joystick. «Dans ces ténèbres d'où va surgir une autre aurore, les zombies, c'est vous», écrivait déjà Jean-Paul Sartre en 1961 en introduction aux Damnés de la terre de Frantz Fanon. En ces temps de brouillage des clivages politiques, il faut le rappeler : le zombie est une figure «de gauche». Il est l'opprimé, et la tétralogie de Romero, en débarrassant ses morts vivants de leurs origines vaudoues et des colifichets exotiques, a fini par imposer un générique de la victime anonyme. «C'est évidemment le prolétariat», s'est enthousiasmé l'un des acteurs de Land of the Dead, John Leguizamo. Sur la liste de diffusion américaine Marxism, la sortie du film a d'ailleurs été signalée dans un message titré Zombies et lutte des classes.

L'énorme «plus produit» du zombie, c'est qu'il a tout du couteau suisse de l'idéologie. Il représente les ouvriers exploités, comme dans The Plague of the Zombies de John Gilling, sorti en 1966 aux Etats-Unis, avant même la Nuit des morts vivants. Mais il figure aussi, selon les époques, les minorités noires, les décervelés de la société de consommation, les affamés du tiers-monde et tout ce qu'on voudra bien y mettre de souffrant et d'un poil effrayant. Très différent du vampire, cet aristocrate de l'épouvante, ultrasnob et exploiteur. Et bien plus collectif que le fantôme, bourgeois individualiste obsédé par la propriété (il hante à vie son ancienne maison).

Foutraque. En plein foutoir idéologique, pas étonnant que le zombie revienne, en archétype de la «misère symbolique» des consciences «synchronisées» à grandes doses d'images marchandes du philosophe Bernard Stiegler. On trouve même un «alterzombie» chez les altermondialistes de l'Asssociation des astronautes autonomes (AAA) : ce collectif foutraque a commis un texte de lutte contre la «Zombie Culture» que tenterait d'infuser «le complexe gouvernementalo-capitaliste» pour imposer l'idéologie de la soumission à travers la vague marketing et commerciale de ces dernières années. Ce qui démontre aussi que le zombie n'aime rien tant que regarder des films de zombies.
A savoir

White Zombie 1932
En 1932, le film d'épouvante américain de Victor Halperin forge la figure du zombie. C'est une femme (Madge Bellamy), empoisonnée selon un rite vaudou aux Antilles, qui s'y colle.

Vaudou 1943
Jacques Tourneur réalise en 1943 un de ses chefs-d'oeuvre d'effroi et d'efficacité narrative. Ce Vaudou (I Walked with a Zombie), pour lequel une île haïtienne a été reconstituée en studio, diffuse une terreur hypnotique latente.

La Nuit des morts vivants 1968
Tourné en 1968 pour 114 000 dollars selon le réalisme documentaire noir et blanc du film de guerre, le premier opus de George A. Romero relance la légende du zombie.

Zombie 1978
Romero remet ça, les créatures consommatrices encerclant les humains dans un supermarché.

Le Jour des morts vivants 1985
Le troisième film zombie de Romero sort en 1985. Les hordes cannibales assiègent une base nucléaire après la catastrophe.
«L'Amérique remplit le vide laissé par le 11 septembre»

Jean-Baptiste Thoret, 35 ans, dirige les revues Simulacres et Panic. Il a publié des essais sur Dario Argento ou George Romero, et Une expérience américaine du chaos (Dreamland éditeur) sur le cinéma d'effroi.

Quand la figure du zombie apparaît-elle dans le cinéma ?
Il y a d'abord des comportements zombiesques au temps du muet, les victimes hypnotisées de Caligari ou de Mabuse dans le cinéma expressionniste allemand. La créature de Frankenstein est aussi une sorte de zombie. En 1932, le film américain White Zombie forge le personnage. Mais c'est le chef-d'oeuvre de Jacques Tourneur, I Walked with a Zombie (Vaudou), en 1943, qui lui offre son incarnation dans le cinéma d'effroi américain.

Qu'est-ce qui le caractérise ?
C'est un personnage mort qui revient, et se nourrit de la chair des vivants. Un corps sous influence, un être dépossédé de sa mécanique spirituelle. Sa démarche lente, bras tendus, yeux obnubilés, teint livide et terreux, est caractéristique. Les zombies sont grégaires, avec une vie collective peu organisée. Souvent, ils gémissent. Les premiers zombies sont des Noirs, car ils sont issus de la tradition haïtienne vaudou, et par un racisme propre au cinéma américain, ils incarnent la grande peur face au prolétariat noir lobotomisé. Le zombie est un emblème, car il est le bloc opaque par excellence. On ne peut rien pour lui, ni contre lui, sinon le tuer, et le tuer en nombre puisqu'il prolifère. La seule réponse, c'est le massacre.

Le zombie est donc une forme de la modernité, malgré son primitivisme, car il incarne au mieux la crise de la représentation du cinéma classique hollywoodien. Auparavant, tout était clair. Avec le zombie, le sens échappe, c'est un mystère : les personnages se déshumanisent, deviennent de plus en plus abstraits, machines qui tuent et mangent sans explication. Le zombie remplace le désir par son besoin de chair, et l'action par l'appétit.

Avec le zombie, le cinéma entre-t-il en crise ?
Quand arrivent les zombies de George Romero, en 1968, dans la Nuit des morts vivants, film absolument essentiel, la crise est déjà là. L'année précédente, au procès de La Nouvelle-Orléans, le film de Zapruder sur la mort de Kennedy a été projeté officiellement en public : l'éclatement du crâne du Président, effroyable, en fait le premier film «gore». Des copies clandestines circulent sur les campus agités par le mouvement contre la guerre du Vietnam. La violence s'engouffre dans le cinéma américain, aux mains d'une nouvelle génération de réalisateurs qui n'ont pas froid aux yeux et travaillent dans des genres où on peut tout se permettre. On peut dire que la Nuit des morts vivants et ses zombies cristallisent cette angoisse et cette violence.

Quelle est la force de ce premier film zombiesque de Romero ?
Il décide de laisser tomber la quincaillerie gothique et vaudou. Il dénude le genre pour en faire un film d'horreur contemporain filmé pour 114 000 dollars, comme un film de guerre documentaire, en noir et blanc. C'est un traitement réaliste, en rapport avec la guerre du Vietnam. Romero a été monteur de bandes d'actualité à Pittsburgh, travaillant sur les images du Vietnam, et ses techniciens en reviennent tous. Le zombie «revient» donc aussi du Vietnam, et le film donne la sensation d'une plongée au coeur des événements. C'est un reportage de guerre.

Qu'est-ce que symbolise ce zombie-là ?
Le zombie de la Nuit des morts vivants c'est le voisin, le proche, voire soi-même, qui fait retour sous la figure de l'altérité pour vous bouffer. Cet autre radical incarne la minorité devenue l'ennemi intérieur : le Noir et le mouvement civique, les hippies et la contestation étudiante, tandis que la majorité silencieuse, celle qui a porté Nixon au pouvoir, se terre et se barricade...

Romero a réalisé une tétralogie zombie. Comment évolue son personnage ?
Le deuxième film, Dawn of the Dead (Zombie), en 1978, est le plus impressionnant : un groupe d'humains symbolisant la société américaine est enfermé dans un supermarché encerclé par les zombies, de plus en plus nombreux. Après la contestation des minorités, les zombies sont eux-mêmes devenus la majorité : ils bouffent et sont horribles, ce sont des consommateurs. Comme dit le héros : «Ils reviennent morts là où ils aimaient aller vivants, au supermarché...» Romero assène son message politique frontalement : «On est tous des consommateurs, on est tous des zombies, et ça nous tue !»

Le troisième film, Day of the Dead (Le Jour des morts vivants) sort en 1985...
Et les zombies prolifèrent. Désormais, les humains sont réfugiés sous terre, dans un silo nucléaire. Ils savent qu'ils ne pourront plus les éliminer et veulent les contrôler, les manipuler. C'est la métaphore totalitaire : le contrôle du peuple zombie par une élite scientifique et médiatique. Cette question de la manipulation passionne Romero.

Et ensuite...
Il y a une décennie manquante, les années 90. Mais on a le scénario du film non tourné, où les zombies sont clairement les homeless, les sans-abri, les chômeurs, les laissés-pour-compte du capitalisme américain, qui encerclent une élite de plus en plus froide et cynique, elle-même déshumanisée.

Land of the Dead a été tourné après les attentats du 11 septembre 2001 à New York...
Romero a dû changer son histoire. Le zombie absorbe le sens de l'Histoire : il incarne l'actualité américaine. Ce nouveau film montre un empire isolé, enclavé, une pointe séparée d'un monde hostile où la fracture sociale est terrible : il n'y a plus de classe moyenne. Soit on fait partie de l'élite, soit on est un zombie. Aveuglement d'une élite qui vit dans une tour de verre, façon World Trade Center... Le tout conçu comme un pamphlet contre l'Amérique en guerre en Irak, avec cette séquence incroyable de torture, qui rappelle évidemment Abou Ghraib. Contre les néoconservateurs également : Dennis Hopper est le symbole de cette charge puisqu'il incarnait la contre-culture de gauche façon Easy Rider, et qu'il est désormais un «faucon» à la Rumsfeld...

Pourquoi tant de zombies dans l'actualité ?
C'est un phénomène propre à Hollywood : une politique de remake en chaîne des films de genre des années 70. C'est aussi un fait de culture : le zombie comme figure contemporaine a proliféré. On le trouve partout ... C'est le symptôme d'un état post-11 septembre : les attentats ont créé un vide, il manque quelque chose. Donc il faut le remplir avec ce qu'on n'a pas vu alors, les cadavres manquants, les identités sans corps, dont l'Amérique n'a pu vraiment faire le deuil. D'où ces fantômes, zombies, morts vivants, qui reviennent en masse. Le 11 septembre a été une catastrophe minérale. Le problème du cinéma américain depuis consiste à redonner corps à cette preuve de mort rejetée hors champ. Le zombie n'est que la manifestation la plus politique de cette absence morbide.

Quelle est la fin possible d'une telle série ?
La seule possible est un pacte : «Vous cessez de nous bouffer, on arrête de vous massacrer...» Mais ce n'est pas demain la veille...
Monstres

C'est une banalité que de noter que la culture dite populaire exprime, et exploite, l'air du temps. Sous une forme simpliste, voire grotesque, et en jouant sur des émotions primordiales comme la peur, ou le désir. Pour divertir bien plus que faire réfléchir... Autre remarque banale : les sociétés occidentales vivent, depuis le 11 septembre et ses répliques terroristes, dans une ère de l'angoisse, et sur un mode paranoïaque.

Or la figure du monstre sert, depuis au moins les cyclopes et les sirènes, à donner forme aux peurs collectives qui naissent de la confrontation d'une société avec l'inconnu, quand elle se mêle avec la conscience de la fragilité de la civilisation. Voilà pourquoi l'insatiable machine à images populaires qu'est Hollywood ressuscite les zombies, et que les morts vivants envahissent nos écrans.

Le zombie, clone américain, et prolétaire, du vampire européen et des goules orientales, ne vient pas d'ailleurs. C'est un homme (presque) comme vous et moi. En VO altermondialiste, il sert de métaphore aux rapports entre un Nord monstrueusement riche et égoïste, et un Sud qui meurt de faim. Pour les militants, il peut être habillé en parabole des conséquences monstrueuses du chaos irakien, dont l'(auto) censure tente, en vain, de cacher les cadavres qui s'empilent. Pour certains, il sera l'incarnation de la terreur-monstre que font peser sur le monde ces vrais morts vivants (et zombies) que sont les kamikazes...

Ces revenants sont assurément un signe, et un avertissement ­ c'est le sens premier du latin monstrum. Mais de quoi ?

A chacun son zombie. A moins que les zombies ne soient dans la salle...
Lutte des classes sur «le Territoire des morts»

Le quatrième volet de la série de George Romero, ouverte en 1968 par la Nuit des morts vivants, évoque plus que jamais une société malade à l'aube de sa désintégration.

Parmi toutes les idées formidables du dernier film de zombie tourné par le maître du genre, le revenant George A. Romero, il y en a une particulièrement forte. Pour sécuriser leurs incursions dans «le territoire des morts» (traduction du titre de ce quatrième volet de la série), les rares hommes encore vivants tirent des feux d'artifice depuis leur camp retranché. Le regard perdu au firmament, comme hypnotisés par ces bombes multicolores qui explosent telles des fleurs dans le ciel, les cadavres ambulants qui déambulent tristement ne voient plus les hommes qui passent et ils ratent un festin facile .

Retranchés dans une forteresse aseptisée

Romero laisse chacun libre d'interpréter ce que peuvent être dans notre monde ces jolis mirages qui distraient l'attention : à la fin de son dernier film, les morts comme les vivants, puisqu'il ne fait plus vraiment la différence, auront appris à ne plus se laisser duper. Plus qu'un excellent film fantastique, Land of the Dead (le Territoire des morts) est aussi l'histoire de la prise de conscience collective d'êtres exploités par une minorité riche et arrogante, retranchée dans une forteresse aseptisée. En ce sens, quinze ans après Invasion Los Angeles de John Carpenter ou The People Under the Stairs de Wes Craven, Land of the Dead est probablement le film de genre américain le plus ouvertement politique.

Il a bien failli ne jamais voir le jour. Pendant dix ans, ce cinéaste atypique, prototype de l'auteur indépendant et «pur produit des années 60» comme il se présente lui-même, plus que pape du gore comme les débordements d'hémoglobine de ses films fétiches l'ont catalogué, n'a rien tourné. Il a vu ses projets se casser la figure les uns après les autres. Après le faible (et fauché) Bruiser, passé justement inaperçu en 2000, Romero revient avec la suite de la trilogie qui l'a rendu célèbre. En 1985, Day of the Dead clôturait provisoirement un cycle où le réveil et l'invasion des morts servaient de prétexte à évoquer une société déliquescente.

Un film tous les dix ans. Puis il a «raté les années 90», comme il le raconte aujourd'hui. «Quand j'ai terminé un nouveau scénario, le 11 septembre est arrivé et seules les comédies sans substance trouvaient des financements.» Personne ne voulait prendre le risque de dépenser un dollar dans un film d'horreur gauchisant, tourné par un hippie vieillissant qui a passé toute sa vie à l'écart du système, tournant la plupart de ses films dans sa ville natale, Pittsburgh.

Il faudra attendre la nouvelle vague actuelle de films d'horreur et la vogue des films des années 70 refaits à la sauce numérique (Massacre à la tronçonneuse...), pour que Romero tourne à nouveau. Et encore, le budget de Land of the Dead n'est qu'une aumône, en regard de celui du remake de son Dawn of the Dead, revu à la manière d'un jeu vidéo frénétiquement crétin (l'Armée des morts, Zack Snyder, 2004).

«Ces putains de zombies me foutent la trouille»

Au moment où débute ce nouvel épisode, les morts hantent la surface du globe, telles des âmes en peine, plus pathétiques qu'effrayants. On ne sait ce qui leur manque le plus, nourriture ou raison d'être. Les vivants, eux, se terrent dans des camps de fortune. Seule une poignée de nantis se prélasse dans un building transformé en luxueux bunker, faisant comme si les zombies (et les pauvres) n'existaient pas. Cigare dans une main, whisky dans l'autre, c'est Dennis Hopper qui interprète Kaufman, le patron de ce paradis pour rupins. Ce spécialiste des ordures tient ici son meilleur rôle depuis des lustres. Il faut le voir, toisant le monde ravagé et avouant «ces putains de zombies, ils me foutent la trouille», tout en se curant le nez avec l'index.

George Romero dit volontiers sa déception d'apprendre que Hopper, «enfant de la contre-culture» comme lui, est aujourd'hui un homme de droite qui s'assume : «Easy Rider joue au golf et vote républicain, le croyez-vous ?» Cela n'empêche pas Hopper d'avoir porté le projet. Téléphonant à son réalisateur après lecture du script pour lui dire, enthousiaste, «Kaufman, c'est Donald Rumsfeld.» L'Amérique transformée en camp retranché après le 11 septembre est clairement une des sources d'inspiration de ce quatrième zombie-film. Difficile, d'ailleurs, de ne pas penser à un autre, sorti l'été dernier, le Village, de M. Night Shyamalan. Dans les deux cas, des hommes en pleine panique vivent retranchés dans une petite communauté ultraprotégée, sourde et aveugle au monde qui l'entoure. Seul le point de vue diffère. Romero filme de l'extérieur de la forteresse, en affichant clairement sa sympathie pour les «insurgés». Shyamalan, de l'intérieur, avec des sentiments plutôt ambigus envers les occupants.

Des hippies aux damnés de la terre

Les films de Romero, ceux mettant en scène des zombies comme les autres (The Crazies en 1973, Knightriders en 1981), ont souvent évoqué des sociétés malades à l'aube de leur désintégration. Mais jamais la question des classes et des tensions sociales n'avait été aussi clairement abordée. Dans les années 60, les zombies pouvaient être vus comme des hippies sur le point de renverser l'ordre réactionnaire. Aujourd'hui, ce sont des «damnés de la terre», qui prennent conscience de leur sort. Big Dady, un des personnages clés du film, est un pompiste noir qui entraîne ses camarades d'infortune, tel un Guevara zombie. Tous ses compagnons sont clairement d'ex-ouvriers, exploités morts comme ils l'étaient vivants.

Le monde des vivants de seconde classe, interzone de tous les trafics, sorti d'un roman de William Burroughs, est lui aussi en ébullition. Incarné par John Leguizamo, un acteur originaire d'Amérique du Sud ­ ce qui n'est sans doute pas un hasard ­, Cholo est un de ceux qui travaillent au service de Kaufman, exécuteurs des basses oeuvres, espérant récupérer quelques miettes du festin et intégrer enfin la caste dominante, aveuglé par les promesses de richesse qu'on lui a fait miroiter. Land of the Dead est aussi le film de son réveil (tardif).

L'inhabituelle virulence de son engagement ne doit pas faire oublier que Land of the Dead reste un film musclé, inquiétant (les morts sortant de la rivière), parfois même poétique (la scène d'ouverture), où l'action est concentrée sur une durée de 24 heures. Là encore Romero se distingue. A une époque où les films d'horreur se doivent d'imiter le rythme épileptique des jeux électroniques, ses morts continuent de marcher à la vitesse d'escargots entêtés et l'un des premiers dialogues prononcés condamne les fanfaronnades d'un tireur qui se croit à la foire : «Un beau tir, ça n'existe pas.» En cet été où, comme toujours, ça canarde sec sur les écrans, quel autre film énonce cette simple évidence ?
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