Pourquoi le monde entier succombe à Avatar
Arnaud Bordas
15/01/2010 | Le Figaro.fr
Bientôt 10 millions d'entrées en France, des recettes mondiales record, plusieurs oscars en prévision : « Avatar » pourrait bien détrôner « Titanic ». Décryptage d'un triomphe.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : après avoir atteint le milliard de dollars de recettes mondiales en seulement 17 jours d'exploitation (un record), Avatar est désormais le deuxième plus gros succès mondial de tous les temps en dollars actuels (1,3 milliard) et vise la première place du podium, occupée par Titanic (1,842 milliard de dollars de recettes), du même réalisateur, James Cameron. Certains analystes hollywoodiens prédisent même qu'il pourrait terminer sa carrière à 4 milliards de dollars !
Soyons clair : il est admis qu'un méga-succès comme Titanic, qui arrive à fédérer tous les publics du monde sans distinction de sexe, de milieu social ou de culture, représente une anomalie (heureuse) dans l'industrie du cinéma. Or, Avatar est en train de réitérer cette anomalie ! «C'est comme un train fou, résume un cadre de la 20th Century Fox, le studio qui a financé le film. Il continue d'engranger des bénéfices encore et encore. Je pense que tout le monde veut voir le film. Même ceux qui ne vont pas au cinéma habituellement en ont entendu parler.» Sans compter ceux qui vont voir le film plusieurs fois : actuellement, un spectateur sur cinq a déjà vu le film deux fois. Un phénomène qui s'amplifiera sûrement si le film rafle quelques récompenses dans les prochaines semaines. En attendant le vote de la guilde des producteurs (PGA) et de celle des réali sateurs (DGA), Avatar est en lice, ce week-end, pour les Golden Globes, nominé notamment dans les catégories « meilleur film » et « meilleur réalisateur ». Une répétition avant les Oscars, qui avaient si bien réussi à Titanic (11 statuettes). Si jamais l'actrice Zoe Saldana, interprète incroyable de Neytiri, la belle princesse Na'vi, était nominée en tant que meilleure actrice, ce serait une première historique pour une comédienne synthétique.
En France, Avatar approche du cap symbolique des 10 millions d'entrées un peu plus d'un mois après sa sortie : soit le même rythme suivi en son temps par Titanic, qui finit sa course à plus de 20 millions de spectateurs (record absolu en France, devant Bienvenue chez les Ch'tis).
D'abord les fans de SF, puis les femmes et les familles
Le multiplexe Gaumont de Marne-la-Vallée est le seul cinéma de France à proposer le film en Imax 3D, le format spectaculaire qui convient le mieux à l'expérience Avatar selon les propres termes de Cameron. Les séances y affichent complet depuis la sortie du film, avec des salles réunissant un public varié où se mêlent des spectateurs de tous les âges et de tous les milieux. Jérôme Gaïarin, le directeur du multiplexe, explique : «La clientèle du film s'est constituée en trois temps. D'abord, les fans de science-fiction, de cinéma ou de Cameron, puis, très vite, le public s'est féminisé. Enfin, après Noël, le film est devenu familial et réellement transgénérationnel. Notre salle Imax a très vite mobilisé une clientèle que nous n'avions pas l'habitude de voir. Nous avons eu des gens qui venaient spécialement de Nantes, de Marseille, de Belgique, et même d'Italie, de Suisse ou d'Irlande !»
Pour expliquer ce phénomène, la plupart des observateurs (ceux qui officient à Télérama, notamment) évoquent le «rouleau compresseur» du marketing. Un argument qui ne tient pas - sinon le moindre blockbuster serait automatiquement un méga-succès ! Au-delà de la prouesse technologique et du spectacle puissamment immersif proposé par la 3D, qu'est-ce qui pousse l'humanité entière à aller voir ce film ? David Fakrikian, journaliste indépendant qui s'intéresse depuis longtemps à l'œuvre de Cameron, a sa petite idée : «Le public est las des films formatés en comités à coups d'études de marchés. James Cameron suit son instinct. Lui seul est maître à bord, pas les statisticiens. Bien qu'il soit un cinéaste de la technologie, il n'oublie jamais l'élément humain. C'est pourquoi il réussit systématiquement, malgré les désastres que lui prédisent les journalistes et un certain public. Les spectateurs ressentent que son cinéma est profondément personnel.» N'est-ce pas justement parce qu'il réussit chaque fois que les critiques pleuvent sur ses films ?
Pour Avatar, un certain nombre d'esprits forts ont dénoncé le simplisme et la naïveté du scénario à coups de formules toutes faites. Par exemple, l'expression «Pocahontas chez les Schtroumpfs» a été répétée à l'envi dans la presse pour résumer le film en le ridiculisant. On compare aussi la structure narrative du film à celles de Danse avec les loups ou de Lawrence d'Arabie, mais sans jamais s'interroger sur les éléments communs à toutes ces grandes histoires. Un arbre de vie biblique, une pietà chrétienne, une cérémonie chamanique, des emprunts nombreux à la mythologie hindouiste : Avatar raconte son histoire à l'aide d'images et de concepts issus de différentes cultures mais que l'on retrouve dans toutes les cultures sous une forme ou une autre. Le journaliste Rafik Djoumi, spécialiste des rapports entre cinéma et mythologie, évoque l'universalité du cinéma de Cameron : «Beaucoup veulent voir dans Avatar des analogies avec l'actualité (invasion de l'Afghanistan, écologie, internet, etc.) mais le film fonctionne en réalité à un niveau bien plus primordial. Comme avec Titanic, James Cameron utilise un système d'archétypes (ce concept que certains confondent avec "stéréotypes") afin de s'adresser directement à cette zone d'ombre en nous, ce tronc commun de l'humanité. Ainsi, sans transiter par le filtre intellectuel, nous recevons intuitivement les enjeux et les symboles (héros "coupé en deux", omniprésence des regards, lutte à mort contre le "père" et abandon dans la"mère", etc.). Intuitivement, nous comprenons et adhérons à cette démarche car, au fond de nous, nous avons déjà tous vécu cette aventure archétypale. Et pouvoir la revivre à l'écran est une expérience exaltante. L'une des fonctions de la vraie mythologie étant de rassembler l'humanité autour d'un même feu, je crois que les rares artistes qui savent lui faire honneur sont pratiquement condamnés au succès.» Là réside peut-être le secret du succès de James Cameron : dans sa capacité à créer des images qui, plus ou moins consciemment, parlent à l'humanité entière. Et parleront : parallèlement à un projet d'adaptation du manga Gunnm et à la préparation d'un film (documentaire ou fiction) sur Hiroshima, le « roi du monde »-bis a déjà lancé ses équipes sur deux nouveau volets d'Avatar. The show must go on...